AGORA- Edito avril 2023

 

Aujourd’hui, Florence Nightingale s’est retournée dans sa tombe…

Nous célébrons la Journée internationale des infirmières le 12 mai. Mais avons-nous le cœur à la fête ? Pas vraiment. Mais comme disait le philosophe : le pessimisme de la connaissance n’empêche pas l’optimisme de la volonté.

 

Ils nous l’avaient tout dit, promis

Ils avaient juré leurs grands dieux que, après les applaudissements à 20h, on allait voir ce qu’on allait voir. Plus jamais on ne dévaloriserait les infirmières, ces héroïnes de la pandémie. « On » se réjouissait de bénéficier de la compétence et l’engagement de l’immense majorité d’entre elles, malgré les circonstances. « On » soulignait la nécessité de pouvoir compter sur des professionnelles spécialisées en soins critiques et on se réjouissait de la polyvalence et de la capacité d’adaptation des autres. « On » se désolait de la détresse des soignants peu qualifiés et trop peu nombreux en maisons de repos et de soins. « On » allait soutenir la profession car on avait compris : sans infirmières, pas de soins de qualité. « On » allait voir ce qu’on allait voir, si on mentait, on irait en enfer.

 

Encore des mots toujours des mots, les mêmes mots

On a vu. On a surtout lu, dans les différents textes de loi pendant la pandémie, que les soins infirmiers étaient des actes techniques qu’on pouvait déléguer à un chien avec un chapeau. On a vu que les fonds débloqués étaient détournés pour engager des professionnels non qualifiés. Faute d’infirmières disponibles, nous dit-on. Ben tiens. Et qu’a-t-on fait pour améliorer les conditions de travail de façon structurelle ? Rien. Ben tiens. Et sur la reconnaissance de la pénibilité ? Rien. Ben tiens. Et sur les fins de carrière. Rien. Ben tiens. Et à propos de la collaboration interprofessionnelle ? Rien. Ben tiens. Et pour la reconnaissance des spécialisations ? Rien. Ben tiens.

 

Bon alors, « on » a fait quoi… après tout, « on » allait voir ce qu’on allait voir. Par exemple, sur la mise en œuvre des quatre niveaux de l’échelle de soins infirmiers : aide-soignant, infirmier, infirmier spécialisé, infirmier de pratique avancée ? « On » a été créatif ! « On » a inventé l’aidant qualifié, l’assistant de soins infirmiers et la super-aide-logistique (à l’hôpital) et la super-aide-familiale (en soins à domicile)… et « on » a ressorti des cartons l’assistant médical… Plus de bras. Pour soulager les infirmières des soins techniques qui ne nécessitent pas leur expertise et des activités « administratives ». Mais pas plus d’argent pour financer le système : donc pas des bras en plus mais des bras à la place. Et sous la responsabilité des infirmières qui restent. Ha bon, mais ce n’était pas des tâches indignes de leur art ?Ha mais si : mais elles pourront déléguer. Ha bon. Donc en fait ça fait partie du job. Ben oui. Ben alors, pourquoi on n’engage pas des infirmières, qui sont polyvalentes. Parce qu’il y en a pas. Ha oui, mais c’est pas parce qu’on ne fait rien pour elles ? Et en cas de coup dur, avec les transitions climatiques, les bouleversements sociaux et toutes les conséquences sur la santé ? « On » verra. Ben tiens ! « On » a la mémoire bien courte.

 

« On », le personnel politique au pouvoir, est enfermé dans une logique productiviste et à la recherche de solutions à court terme. Sans questionner de façon systémique et avec intelligence l’organisation des soins de santé et leur financement. Pour faire face à la pénurie de professionnels infirmiers qualifiés en activité, faute de politiques de rétention, une cascade de déqualification est en train d’être mise en place avec la complicité de certains gestionnaires infirmiers. Et ce au mépris de toutes les évidences scientifiques qui montrent que plus le nombre de professionnels qualifiés est élevé dans une équipe, meilleurs sont les résultats de santé pour les patients. Au mépris des études qui s’accumulent et qui indiquent ce qu’il conviendrait de faire pour lutter contre l’épuisement professionnel et le burnout. Nous avons besoin de professionnels qualifiés formés dans l’enseignement supérieur pour assurer la qualité des soins et la sécurité des patients. Nous exigeons de meilleures conditions de travail et une reconnaissance structurelle de la profession dans tout le système de soins, avec des consultations autonomes et un droit de prescription. Nous sommes indispensables pour assurer la couverture de santé universelle et atteindre es objectifs de développement durables. Corporatistes ? C’est l’OMS et les experts de santé publique qui le disent et le répètent à l’envi. Mais « on » ne veut rien entendre.

Pourquoi n’a-t-on pas mis en œuvre l’échelle de soins infirmiers à 4 niveaux ? Avec une aide-soignante formée en deux ans, travaillant en binôme avec une infirmière bachelière. Après avoir valorisé comme bachelières toutes les collègues brevetées. Avec des infirmières spécialisées dont l’expertise serait valorisée, elle aussi. Avec des infirmières de pratique avancée habilitées pour exercer comme cliniciennes spécialistes et comme praticiennes en collaboration avec des médecins ? Pourquoi n’avons-nous toujours pas un ordre professionnel pour traiter les questions de déontologie et protéger les citoyens-patients ?

Cette absence de vision pour le système de santé n’augure rien de bon pour la suite. Mais la FNIB garde le cap : forte de son expérience de 100 ans et de son réseau international, elle peut compter sur des mandataires impliqués. Nous traverserons ensemble ces heures sombres pour la profession et ensemble nous continuerons à œuvrer pour construire un système de soins de santé dont les infirmières sont déjà l’épine dorsale. Je suis fier d’être infirmier. Collègues en exercice, futurs infirmiers et infirmières, nous aimons notre profession. Mais la lutte est encore longue pour qu’elle soit reconnue à sa juste valeur. C’est nous le droit, c’est nous le nombre : Nous qui n’étions rien, soyons tout.

 

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